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Les Inscriptions Phéniciennes et leur style

 

 
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Les Inscriptions Phéniciennes et leur style
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Les Inscriptions Phéniciennes et leur style par Fady Stéphan - Publications de l'Université Libanaise - Beyrouth 1985

Introduction


Notre recherche a pour objet de retrouver dans le lot des inscriptions phéniciennes qui nous sont parvenues des éléments d'un style et d'une phraséologie de la langue phénicienne telle qu'elle était utilisée dans les villes du littoral phénicien et les établissements phéniciens de l'étranger: Chypre, Sardaigne, Grèce, Syrie, Asie Mineure, Egypte.

Lieu de passage et carrefour de civilisations, la Phénicie, entourée de puissants voisins qui la convoitaient et la soumettaient périodiquement, avec lesquels elle commerçait et dont elle assurait elle-même le trafic avec les autres pays, a dû assimiler les apports de ces civilisations et se créer un art personnel. Elle a connu un bel artisanat du bronze, des tissus vestimentaires, de la pourpre, du bois sculpté et de l'ivoire: dans le seul domaine du travail de l'ivoire, à titre d'exemple, les villes phéniciennes développèrent un art éclectique et néanmoins original. Il serait, a priori, étonnant que dans le domaine littéraire les Phéniciens n'aient pas eu aussi leurs propres traditions et des œuvres littéraires.

L'argile cuite, le marbre - principaux supports durs - ont permis la conservation de quelques-uns des trésors littéraires de l'Antiquité. Les tablettes d'argile, cuites au four, devenaient indestructibles et ont gardé les textes gravés sur leurs faces. Des dizaines de milliers de ces tablettes ont été trouvées au cours des fouilles de Ninive, Mari, Ougarit et dernièrement à Ebla, au sud d'Alep. Ce dernier lot est, parait-il, immense.

L'Egypte pharaonique confectionnait des supports mous provenant du papyrus – dit cyperus papyrus – qui croissait autrefois en abondance sur les bords du Nil et dans les marais du dynastie, soit 18 siècles avant notre ère. Les Phéniciens connaissaient le papyrus qu'ils importaient en Phénicie et travaillaient. Particulièrement, à Gubal. C'est Gubal qui l'introduisit dans le monde égéen. Byblos est le nom grec du papyrus; les Grecs le donnèrent également a la ville de Gubal. Le papyrus, matière organique, a pu conserver sous terre des textes pharaoniques grâce à la sécheresse du sol égyptien, mais, par contre, a dû périr dans la terre humide de la côte phénicienne par l'usure du temps, lorsqu'il n'a pas été détruit ou brûlé.

Cette littérature phénicienne a certainement été vaste et variée. Il suffit de penser, à titre de comparaison, à l'apport des fouilles de Ras Shamra qui nous ont fait connaître une littérature ougaritique antérieure à la littérature phénicienne, mais qui nous est parvenue grâce aux tablettes d'argile cuite sur lesquelles elle était gravée. Cette littérature ougaritique, très riche, comprend de grands textes mythologiques ou légendaires qui datent, en gros, du XIVe siècle avant notre ère; elle reflète "une langue littéraire, archaïsante employant des formules stéréotypées, tandis que le textes non littéraires (documents économiques, listes, lettres, etc.) emploient une langue vivante et reflètent… un niveau de langue plus récent". Elle nous renseigne sur la mythologie et les dieux qui composaient le panthéon ougaritique, ainsi que sur des traits d'histoire, du culture et de civilisation. Cette langue a été considérée, tour à tour, "cananéenne", proche de l'hébreu, du phénicien, de l'arabe; faisant partie des langues "amorites" ou "amoritisantes" du second millénaire, indépendante. Il parait plus sage de la considérer, "jusqu'à nouvel ordre, comme une langue ouest-sémitique indépendante". Elle véhiculait une culture qui parait s'être étendue au-delà d'Ougarit.

La Bible hébraïque décrit les Phéniciens de manière caricaturale, adorant Ba'al et 'Astart, bâtissant "des hauts lieux dans toutes leurs villes" (II Rois 17:9), offrant "des sacrifices et des parfums sur les hauts lieux, sur les collines et sous tout arbre vert" (II Rois 16:4), se livrant à la divination et aux enchantements" (II Rois 17: 17), prophétisant "jusqu'au moment de la présentation de l'offrande" (I Rois 18:29).

Peut-on imaginer que ce peuple n'ait pas eu ses traditions et ses répertoires, et toute une mythologie écrite! De toute cette littérature, peu de témoignages nous ont été conservés pour les raisons indiquées plus haut.

Les mythologies grecques et romaines et leurs littératures nous colportent de nombreuses légendes et mythes qui eurent pour théâtre les villes phéniciennes. Entre autres, Lucien narre le culte d'offrande que l'on faisait dans le basin de 'Astart. Est-il imaginable que les Phéniciens n'aient pas eu leurs propre versions de ces mythes et légendes, dont l'écriture sur papyrus était des plus aisées grâce à l'extrême simplicité de leur alphabet!

Les parallélismes que nous avons relevés dans les inscriptions phéniciennes nous induisent à penser que de nombreux textes devaient être écrits en langage poétique pour être chantés. A moins que ce soit, pour quelques textes, un moyen pour en faciliter la mémorisation.

Philon de Byblos et le personnage de Sanchuniathon

Philon de Byblos, Phénicien érudit, qui était à la fois polygraphe, lexicographe, historien, encyclopédiste et grammairien, serait né, selon Suidas, vers 42 de notre ère et vivait encore, en 117, sous Hadrien. Il avait été ambassadeur des villes phéniciennes à Rome. Toutes ses œuvres ont été perdues, Une dizaine de titres de ses ouvrages nos ont été transmis par Origène, Eusèbe de Césarée, Porphyre, Théodoret, Suidas et Etienne de Byzance. Sa seule Histoire phénicienne aurait comporté huit à neuf livres. Des fragments des œuvres de Philon subsistent chez les écrivains grecs susmentionnés. Ils ont été rassemblés par C. Muller, Jacoby, Clemen. L'évêque Eusèbe de Césarée (IIIe-IVe siècle après J.-C.) a repris des extraits de l'Histoire phénicienne de Philon. Celui-ci prétend l'avoir traduite en grec de l'œuvre d'un ancien sage phénicien de Beyrouth, Sanchuniathon, qui aurait vécu avant la guerre de Troie, à l'époque de Moise et de Sémiramis.

Le problème porte à la fois sur l'existence réelle de Sanchuniathon comme un authentique écrivain phénicien, et sur la validité de ce qui est rapporté par Philon à propos de la mythologie et de la religion des Phéniciens, puisé dans l'œuvre de Sanchuniathon. M. Sznycher écrit à ce sujet: "On ne peut pas dénier à ces fragments de Philon une valeur certaine pour l'étude de la religion des Phéniciens, valeur plus ou moins grande qu'il s'agira de déterminer… lorsque notre connaissance de la langue ougaritique et… celle des mythes qu'elle est susceptible de nous relever, sera plus assurée qu'elle ne l'est actuellement".

Le personnage de Sanchuniathon a connu un regain d'intérêt après les découvertes de Ras Shamra concernant la religion et les mythes phéniciens.

De cette littérature phénicienne, que nous pensons avoir été très riche, seuls sont parvenus jusqu'à nous les inscriptions gravées sur les supports durs que constituent les sarcophages, les stèles votives, dédicatoires, les autels, quelques monnaies, de rare poteries, des pointes de flèches, quelques vases. Sur les monuments ne figurent, généralement, que des textes brefs. Pourtant, ces textes réussissent a nous informer parfois sur des bribes d'un culte, d'usages, de rites, d'institutions. C'est donc sur une documentation mince et peu variée que nous serons amené à travailler.

Il est probable que la majeure partie des inscriptions connues soient des travaux anonymes d'ateliers, écrits conformément à des traditions, des formules fixes et, le plus souvent, selon des clichés en vogue. Les textes longs des stèles commémoratives et dédicatoires (Mesa, KAI 181; Kilammu, KAI 24; Azitawada, KAI 26) paraissent être l'œuvre de scribes attachés à la cour princière. Il nous a paru probable que les textes royaux du Xe siècle, de Byblos (Ahiram, KAI 1; Yehimilk, KAI 4; Abiba 'al, KAI 5; Eliba 'al, KAI 6; Sipitba 'al Ier, KAI 7) soient un assemblage de phrases sacrées. Des textes funéraires, comme Eshmounazar (KAI 14) et Tabnit (KAI 13) paraissent unir, de façon plus ou moins heureuse, des phrases profanes à côté de phrases sacrées. Reconnaître dans ces quelques documents un style et des procédés stylistiques sera quelquefois possible.

Epigraphie et Recueils de textes Phéniciens

En 1758, l'abbé Barthelemy présenta à l'Académie les premiers résultats de déchiffrement du phénicien, grâce à des bilingues phénico-grecs de Chypre et de Malte. L'on s'accorde, cependant, pour considérer Wilhelm Gesenius (1786-1842) comme le fondateur de l'épigraphie phénicienne dont il entreprit une étude méthodique. Il écrivit le premier ouvrage, en 1837, de ce que l'on appelle maintenant la phénicologie.

La mission archéologique organisée par Ernest Renan en 1860-1861, suivie de la publication du recueil classique Mission de Phénicie, montrèrent l'importance des inscriptions phéniciennes et leur intérêt historique. Il obtint de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de France, à la séance du 25 janvier 1867, la publication du Corpus Inscriptionum Semiticarum, connu sous le sigle CIS, dans lequel devaient être rassemblées les inscriptions phéniciennes, hébraïques, araméennes, carthaginoises, chypriotes et autres.

A partir de 1900, commence la publication du Répertoire d'Epigraphie Sémitique, au sigle RES.

En Allemagne, Mark Lidzbarski laissa des travaux importants, aujourd'hui rassemblés dans un ouvrage et trois gros volumes.

Au début du siècle, en Angleterre, l'ouvrage de Cooke contenait une sélection des textes accompagnés d'une bonne traduction anglaise, de commentaires et quelques reproductions.
L'on doit à Slouschz un recueil intéressant d'inscription phénico-puniques, avec une traduction et un commentaire en hébreu moderne.

L'œuvre de référence est actuellement le Kanaanaische und Aramaische Inschriften écrite en collaboration par Donner et Rolling, en trois tomes. Les inscriptions y sont transcrites en caractères hébraïques et traduites en allemand; le commentaire de la partie phénicienne est dû à W. Rollig. Cette œuvre, connue sous le sigle KAI, a été une de nos références de base tout au long de ce travail.

La revue Syria publie, à partir de 1967, volume 44, le Bulletin d'Epigraphie Sémitique (BES), par les soins de J. Teixidor. Signalons aussi le dictionnaire de Hoftijzer (sigle DISO).

Grammaire

Haris publie, en 1936, une grammaire qui englobe tous les mots phéniciens et puniques connus. La grammaire de J. Friedrich est une grammaire exhaustive du phénicien et du punique. Une nouvelle édition révisée en a été écrite en collaboration avec W. Rollig. On y a ajouté un tableau épigraphique conçu par W. Zaumseil. L'abbé Van den Branden a publié une grammaire où les caractères figurent en fac-similé phénicien. La grammaire la plus récente, phénicienne et punique, est due à Segert; les mots phéniciens y sont transcrits en caractères hébreux. Ecrite dans un but didactique, elle s'avère être très utile pour l'étude du phénicien et comporte une très bonne mise au point linguistique, une classification numérique des données et une sélection de textes.

Style Phénicien

Pour ce qui est des études concernant la grammaire, l'accent a été mis jusqu'à présent sur la phonétique et la morphologie et en partie le vocabulaire. Déjà, en ce qui concerne la syntaxe, les études sont loin d'être complètes.

D'autre part, ce n'est que dernièrement que l'intérêt des chercheurs s'et porté sur la composition et le style des textes phéniciens. L'école italienne a particulièrement étudié la formule initiale et les malédictions. Des hébraïsants se sont penchés sur des problèmes de style, en comparaison, notamment, avec les données bibliques. Gaster, en 1942 dans son étude classique sur la première amulette d'Arslan Tash, avait montré la valeur littéraire du texte.

Aucune étude d'ensemble, cependant, n'a paru jusqu'ici à notre connaissance sur la phraséologie et la stylistique dans les textes phéniciens. C'est pour cette raison, et conformément au conseil de M. Maurice Sznycer, directeur d'études à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, que nous avons entrepris le présent travail. La besogne n'en était pas des plus aisées. Les textes ne sont pas nombreux et variés, l'interprétation de beaucoup de passages reste encore controversée. Le sens des expressions et des phrases en général - ce que nous appelons maintenant la valeur notionnelle ou cognitive - a été déjà donné par les chercheurs. C'est à la valeur littéraire, extra- notionnelle, expressive que nous nous sommes particulièrement attaché.

Pour mener à bien ce travail, nous avons entrepris, en premier lu, d'exposer de la façon la plus sommaire les courants stylistique qui se sont succédé, en commençant par la rhétorique classique dont les données n'ont pas beaucoup changé au cours des siècles. C'est l'objet de notre chapitre Ier. Disons des maintenant que nous ne pouvions nous limiter à une seule méthode, mais c'est à l'esprit de la rhétorique classique que nous nous sommes le plus attaché. Cependant, dans l'analyse de la composition d'un texte donné, nous avons adopté les notions de fonction et de structure que l'on doit à l'école de F. de Saussure et à celle de Jakobson.

Le second chapitre est réservé à la documentation. Nous y avons inclus les inscriptions par ordre chronologique, en faisant figurer le texte phénicien à côté de sa traduction française. Notre traduction se base, pour l'essentiel, sur les études, les recherches et les traductions proposées par les spécialistes qui s'en sont occupés. Nous avons cherché à conserver à la phrase sa forme originale, en la rendant, cependant, claire. Nous avons, assez rarement, il est vrai, pour certains mots, différé des auteurs qui ont interprété le texte; nous en donnons la raison.

Un classement des textes, suivant leur destination, fait l'objet de la première partie du troisième chapitre. Les groupes ainsi formés, votif, dédicatoire, commémoratif, funéraire, incantatoire, ne sont pas étanches. Ils s'interpénètrent le plus souvent. Le caractère très superficiel de ce classement est ainsi évident, et tel texte - Eshmounazar, par exemple -, a côté de malédictions, contient un passage de lamentation et alterne avec des récits narratifs.

La seconde partie du chapitre III et tout le chapitre IV sont réservés à la structure générales des textes; diverses formules dédicatoires (dites aussi formules initiales); formules de datation, de malédiction, de bénédiction; formules épistolaire, incantatoire.

Les figures de style ont été étudiées selon les méthodes de la rhétorique classique.

Le chapitre VI est consacré aux expressions et locutions diverses communes aà plusieurs langues sémitiques, en particulier à l'hébreu. Il y apparait difficile de déterminer l'origine d'une expression. Evidemment, un e expression ougaritique doit rester antérieure à son équivalent phénicien.

Le champ sémantique fait l'objet du XIIe chapitre. On y traite du matériel sonore dans ses expressions: paires de mots, parallélismes, allitérations, assonances, cadence. Le phénicien devait avoir ses chants et, peut-être, un art poétique.

Dans le chapitre VIII, nous avons relevé quelques passages descriptifs; nous pensons qu'ils sont l'indice d'un genre, la description. L'artisan phénicien est constructeur et décorateur: preuves, le temple de Salomon et les ivoires.

Le IXe et dernier chapitre est consacré à la synthèse générale et à la conclusion. La stylistique y est traitée dans une optique sémantique; le mot dans son contexte ainsi que les changements de sens du mot qui sont à l'origine des tropes. Le phénicien, comme les autres langues sémitiques, bénéficie du sens sous-jacent au mot. Un mot comme Zr, par exemple, devient un concept des plus riches; d'abord, "semence", "germe", il devient "progéniture", "descendance", etc. Le style, grâce à ce choix de mots, gagne en relief et en couleur.

La phrase est étudiée dans ce même chapitre suivant qu'elle est d'usage profane ou sacrée. La phrase sacrée parait être mieux travaillée que la phrase profane.

En appliquant les règles du parallélisme et de l'équivalence des axes syntagmatiques et paradigmatiques, nous serons, peut-être, en mesure de retrouver des passages poétiques. Nous pensons pouvoir le démontrer dans deux exemples: la malédiction d'Ahiram (KAI 1) et les formules magiques dans la première ou grande amulette d'Arslan Tash (KAI 27).

Il ne nous parait pas possible de prouver l'existence d'un style phénicien propre à la Phénicie. Les éléments dont on dispose sont très rares et, lorsqu'on les repartit sur plusieurs siècles, il en reste peu par époque. On ne pourra pas en tirer des conclusions.

La critique des textes sous différents angles: rhétorique, intuitif, fonctionnel et structural, nous parait être une approche intéressante pour dégager les éléments d'une stylistique et d'une phraséologie phéniciennes.

Chapitre Premier

La Stylistique


On commencera par une définition de la phraséologie et du style pour suggérer que ces deux termes relèvent d'une même discipline: la stylistique dont nous étudierons l'historique et le développement, ainsi que les principales méthodes. Nous terminerons par une note sur les méthode qui nous paraissent les plus appropriées pour l'étude de textes phéniciens.

l. Quelques Définitions

La phraséologie a été définie comme "la construction des phrases propres à une langue". Elle peut être le fait d'un individu - elle est alors souvent désignée idiolecte - ou le propre d'un groupe, d'une culture. En fait, il semble préférable de la définir comme l'étude et le recensement des "expressions figées spécifiques à une langue".

Le concept d'idiolecte, défini par Martinet comme "le langage en tant qu'il est parlé par un seul individu", a été contesté par Jakobson pour qui le langage est toujours socialisé, même au niveau de l'individu. Barthes en élargit le sens et y voit, également, le langage d'une communauté linguistique.

Le style, par contre, dans son acception courante, expression linguistique de la pensée, comporte, à l'image de cette pensée, une variabilité fondamentale en rapport avec les individus et les groupes qui l'élaborent et ceux auxquels elle est destinée. Elaboration et réception sont d'ailleurs interdépendantes; le style est toujours imprégné des échanges et des traditions dans les collectivités.

Mais l'on se rendra tout de suite compte de l'ambigüité des termes: telle expression figée a été au départ une innovation heureuse, une trouvaille de style stabilisée par l'usage. Les deux concepts, phraséologie et style, auraient donc un temps d'origine, une étape évolutive commune et relèveraient d'une même discipline, la stylistique, définie comme une science du style. Celle-ci, qui a commencé avec la rhétorique des Anciens, ne s'est développée qu'à partir du XVIIIe siècle avec le développement des sciences de l'homme, et a donné naissance à des écoles et des méthodes dont nous aurons à parler brièvement.

II. La rhétorique et son déclin

Théorie de l'éloquence, la rhétorique était à ses débuts l'art de composer un discours pour la barre ou pour le tribunal. Les modèles et les préceptes en ont été fixés principalement dans La Rhétorique d'Aristote, De Oratore de Cicéron et De institutione oratoria de Quintilien.

De l'expression oratoire, la rhétorique sera modifiée et appliquée aux différents modes de l'expression littéraire ou des genres seront individualisés: théâtre, histoire, poésie, avec leurs préceptes et règles qui dérivent principalement de la Poétique d'Aristote et de L'Art poétique d'Horace. Ces genres se multiplieront et changeront avec les siècles, mais ils garderont leurs types de style ou tons élémentaires: le simple, le tempéré, le sublime, dont la théorie survivra jusqu'au XVIII siècle. Ces types de style se définissent par leur vocabulaire, leur syntaxe et ce qu'on appellera l'ornement: figures de construction, figures de mots ou tropes, figures de phrases.

La rhétorique, stylistique des Anciens, a dominé l'art d'écrire jusqu'au XVIIIe siècle. Elle commence à décliner avec le mouvement des idées qui va remettre l'homme et la société en question. Le langage n'est plus extérieur à l'homme auquel il est donné, mais le moyen d'exprimer l'expérience de l'homme avec qui il se confond et, à travers l'homme, le groupe humain et la société. "Le style est l'homme même", dira Buffon. La rhétorique se trouvera alors ramenée au rang d'un art d'écrire et d'un recueil de recettes pratiques. La linguistique naissante, concentrée presque exclusivement sur le langage, contribuera beaucoup à ce discrédit, sans pour autant s'intéresser au style abandonné à la littérature et aux arts.

Cependant, la rhétorique, repensée et réévaluée à la lumière des données linguistiques et stylistique modernes, demeure une méthode fondamentale jusqu'à nos jours.

III. Les principales écoles stylistiques

Le style ne devait pas tarder à retrouver sa place première sous l'effet des courants d'idées prévalents à la fin du siècle dernier et dans les premières décennies du siècle présent:
- Le courant idéaliste, surtout allemand, avec Wundt, Schuchardt et leurs successeurs, surtout Leo Spitzer.
- Le courant rationnel dont le promoteur est le linguiste suisse Ferdinand de Saussure, suivi par l'école franco-suisse, avec son principal tenant: Charles Bally. Le langage est ici ramené à son principe qui est un instrument de communication, un système destiné à transmettre la pensée.
- Le courant fonctionnel et structuraliste qui est surtout l'œuvre de Jakobson et de Levin.

De ces divers courants, plusieurs écoles stylistiques se sont constituées, dont les méthodes sont couramment appliquées actuellement. Nous en étudierons rapidement les plus importantes.

1. La stylistique descriptive ou de l'expression

C'est l'étude de la valeur stylistique des moyens dont la langue dispose pour s'exprimer. Cette valeur est expressive et impressive; expressive en ce sens qu'elle trahit l'état du sujet parlant, impressive, traduisant ses intentions, les deux valeurs étant liées principalement à l'existence de différentes formes et synonymes pour une même idée. C'est Charles Bally et son école qui ont établi les fondements de cette méthode toujours valable, quoique incomplète, à la lumière des méthodes nouvelles fonctionnelles et structurales.

L'objet de la stylistique de Bally est le contenu affectif "naturel" ou par "évocation" de la langue dans les faits d'expression, sans juger de l'emploi qu'en fait l'auteur. C'est une prise de conscience des fonctions du langage dans son infinie variété et ses structures vivantes. Bally exclut de son étude les valeurs didactiques et esthétiques, et ne retient que la langue commune et lexicalisée, et non l'emploi particulier qu'en fait l'auteur. Ce n'est donc pas une critique du style ni une étude de la littérature.

Cressot et Marouzeau complètent les recherches de Bally et s'étendent aux sons, constructions syntaxique, construction des moyens d'expression, etc… Il y aura ainsi une phonétique de l'expression étudiée, en particulier, par Troubetzkoy; une morphologie de l'expression, une syntaxe de l'expression. La sémantique de l'expression tire sa principale source du vocabulaire et a été particulièrement bien étudiée par Guiraud qui distingue les effets "naturels", les effets par "évocation" et les "figures, ou changements des sens".

Les principales critiques formulées à l'égard de Bally et de son école concernent les modèles et une terminologie linguistique vieillis, ainsi que l'efficacité de l'analyse qui ignore la distinction entre le système et le discours, le code et le message, le sens et les effets de sens, autant de valeurs issues du structuralisme.

2. La stylistique génétique ou de l'individu

Cette stylistique s'est placée dans une position opposée à la linguistique positiviste et s'est fixée pour tache une étude des faits de parole, une critique des œuvres dans la totalité de leur contexte. Elle est intuitive, profondément influencée par la philosophie bergsonienne de l'époque. Le linguiste viennois, Leo Spitzer, est le chef de file de cette école, dite idéaliste, qui enseigne que la critique est immanente à l'œuvre et que toute œuvre est un tout cohérent, comme le système solaire, avec au centre l'"etymon spirituel", l'esprit de l'auteur. Dans ce centre ou pénètre par une intuition, guidée souvent par un petit détail, chaque œuvre étant intégrée dans un ensemble (époque, pays, etc…), et devant être ressaisie dans sa totalité et de l'intérieur par une entière sympathie avec l'œuvre et son auteur. La critique doit donc être interne, au cœur de l'œuvre, et non dans les circonstances matérielles qui l'entourent, orientant les recherches de l'intérieur sur l'emploi des moyens d'expression, les états de langue, les styles d'auteurs. Cette stylistique comporte une psychosociologie des styles dont le principal tenant en France est Morier.

Faute de critères adéquats, la stylistique génétique est actuellement dépassée. Elle aura cependant réussi à contribuer à rétablir ce lien de sympathie entre le lecteur, le discours et l'auteur et a mieux faire comprendre l'élaboration et la portée des expressions linguistiques et littéraires.

3. La stylistique fonctionnelle

Le but du langage étant de communiquer une pensée d'un locuteur à un récepteur, cette transmission a été analysée par Jakobson dans ses éléments constitutifs:

Emetteur - (Référent) Message (Code) - Récepteur

auxquels correspondent des fonctions "émotive" pour l'émetteur, "référentielle" pour le référent, "poétique" pour le message, "phatique métalinguistique" pour le code, "conative" pour le récepteur. Ces fonctions sont autant de variables, d’où l'infinité des styles. Une stylistique nouvelle s'est ainsi développée, rejoignant par plus d'un côté les thèses de la rhétorique classique qui, elle, est un traité des figures, c'est-à-dire des formes classées selon les genres et, partant, selon le but recherché et l'effet sur le récepteur.

Le troupes classiques ont été redéfinis. Ainsi, la métaphore a été conçue comme le transfert du nom par "similarité des sens", la métonymie par "contigüité des sens" ; il y a aussi de transferts "composites" où l'on retrouve des archétypes métonymiques dans les métaphores.

Un autre exemple, développé par Guiraud, est l'emploi des trois pronoms personnels dans les trois styles classiques direct, indirect et indirect libre, ainsi que leurs rapports avec les trois fonctions émotive (le "je", comme dans la poésie lyrique), conative (le "tu", exhortatif ou supplicatoire), référentielle (le "il", comme dans la poésie lyrique), Les trois pronoms, ainsi que le démonstratif, les temps verbaux et certains adverbes tels que "ici", là-bas., etc…, sans contenu référentiel immédiat, ont été désignés "shifters", "embrayeurs", parce qu'ils renvoient obligatoirement au message dont ils indiquent le genre, le lieu, le temps par rapport à l'auteur, au lecteur et au personnage. Cette approche de la rhétorique a eu ses adeptes, dont Guiraud, Stern, Ullmann.

4. La stylistique structurale

La valeur stylistique d''un signe dépend de sa position au sein d'un système formé de deux structures:
- Paradigmatique, c'est-à-dire les "rapports virtuels existants entre diverses unités de la langue appartenant à une même classe morphologique et / ou sémantique… rapport de substitualité", ces unités s'excluant dans l'énoncé;
- Syntagmatique, c'est-à-dire 'tout rapport entre deux ou plusieurs unités apparaissant effectivement dans la chaîne parlée", rapport privilégié.

Le terme syntagmatique a été défini par de Saussure, mais c'est Jakobson qui a tiré de cette notion le plus grand profit.

Les signes qui constituent le message tirent leur fonction et leurs valeurs de la structure paradigmatique; ils tirent leurs effets de sens de la structure syntagmatique qui est la structure du discours. L'effet du style, que Jakobson conçoit comme l'effet ,"poétique" , repose sur un arrangement des deux structures. C'est ce qu'il désigne par la fonction poétique du langage. Nous ne saurions mieux faire ici que citer Jakobson lui- même:
"Selon quel critère linguistique reconnaît-on empiriquement la fonction poétique? En particulier, quel est l'élément dont la présence est indispensable dans toute œuvre poétique? Pour répondre à cette question, il nous faut rappeler les deux modes fondamentaux d'arrangement utilisés dans le comportement verbal: la sélection et la combinaison. Soit ''enfant'', le thème d'un message: le locuteur fait un choix parmi une série de noms existants plus ou moins semblables, tels que enfant, gosse, mioche, gamin, tous plus ou moins équivalents d'un certain point de vue; ensuite, pour commenter ce thème, il fait choix d'un des verbes sémantiquement apparentés dort, sommeille, repose, somnole. Les deux mots choisis se combinent dans la chaine parlée. La sélection est produite sur la base de l'équivalence, de la similarité et de la dissimilarité, de la synonymie et de l'antinomie, tandis que la combinaison, la construction de la séquence repose sur la contigüité. La fonction poétique projette le principe d'équivalence de l'axe de la sélection sur l'axe de la combinaison est l'axe syntagmatique.

Chez Jakobson, la "fonction poétique" est la fonction du langage par laquelle un message peut être une œuvre d'art. Toutefois, la poétique ne se limite pas aux problèmes du langage, mais relève, d'une manière plus générale, de la théorie des signes. Levin, qui a développé la théorie de Jackobson, définit la structure poétique comme une structure dans laquelle les formes équivalentes du point de vue du sens et du point de vue du son sont placées dans des positions équivalentes syntagmatiquement. En d'autres termes, l'on peut distinguer:

- Une équivalente de "position" entre les signes de la chaine parlée (syntagmatique);
- Une équivalence de "nature" consistant dans des caractères phonétiques et sémantiques communs (paradigmatique).

Levin montre que la caractéristique de la poésie et l'exploitation des équivalences de "nature" (sémantique ou phonétique) en les plaçant dans des "positions" (syntagmatiques) équivalentes. C'est ce qu'il appelle "couplage" qui est, d'ailleurs, un mode d'amplification du poème, ou syntagmes et paradigmes s'engendrent mutuellement. Les syntagmes appellent des paradigmes particuliers qui, à leur tour, appellent de nouveaux syntagmes.

Une forme élémentaire de ces "couplages" se trouve réalisée dans les parallélismes qui caractérisent la poésie biblique et dont nous retrouverons; au cours de nos recherches, de nombreux exemples dans les inscriptions phéniciennes.

Mais à y voir de prés, ces analyses procèdent d'une critique du texte; elles montrent que tout message, poétique ou non, est une structure unique et qu'il n'en émane pas une typologie et une classification générale. Il s'agit d'une étude du message, et non du code, en dehors du lecteur.

Ces critiques ont été formulées, en particulier, par Riffaterre qui montre que le style est propriété du message qui repose sur une double série de procédés:
- La "convergence", apparentée au "couplage" de Levin;
- Le "contraste", fondé sur les relations du mot avec d'autres signes du texte par opposition et contact.

Il n'y aurait ainsi d'effet de style que dans le message et par rapport au message, et cet effet est conditionne par des valeurs qui ont leur source dans le code.
Au contraire, Guiraud pense que le code est "une structure spécifique du système linguistique commun et propre à un groupe, un individu", et que "la langue d'un auteur est conçue comme système spécifique avec ses réseaux propres par rapport à la langue commune". Les écarts par rapport à la langue commune constituent des effets stylistiques. Ce qui conduirait à envisager l'utilisation de la statistique, science des écarts. Cette méthode aura l'avantage d'établir des normes et des critères pour une étude objective des textes.

IV. Conclusion: Méthodes d'étude de textes Phéniciens

Cet exposé des conceptions et méthodes stylistiques est loin d'être complet. Nous avons voulu succinctement résumer l'enseignement de quelques-unes des principales écoles qui ont marqué la théorie du style depuis le début du siècle.

En ce qui concerne notre sujet, la stylistique dans les textes phéniciens, nous ne pourrions qu'être éclectique. Ces textes sont anonymes, rares, pour la plupart incomplets, les plus intéressants repartis sur plusieurs siècles. Lecteurs et auteurs sont évidemment multiples, et leur culture a dû beaucoup changer le long des âges. Dans un même texte, on va retrouver des expressions et des "clichés" mêmes ne sont pas à dédaigner; loin de là, ils peuvent servir à reconnaître le style d'un genre et d'une époque.

C'est à une analyse du texte que l'on aura à procéder. Et cela se fera selon les règles de la rhétorique classique en ce qui concerne les diverses figures. Ces figures seront étudiée en vue de dégager leur valeur affective, telle que la conçoit principalement une stylistique dite de l'expression, en particulier les tropes.

Tout au long de ce travail, nous nous sommes inspiré des notions de "shifting", "embrayage" et ce qui s'ensuit come style direct et indirect, récit et discours, selon l'enseignement de Jakobson et de son école. Nous avons eu constamment en vue les concepts d'axes et d'équivalences, féconds pour dégager les valeurs poétiques d'un énoncé.

Un essai d'analyse structurale nous a paru possible dans les Malédictions et les Bénédictions qui représentent ce qu'il y a de plus complet, come genre, dans les inscriptions phéniciennes, ainsi que dans deux textes; Ahiram (KAI 1) et la première amulette magique d'Arslan Tash (KAI 27).
Mon Mar 30, 2015 9:46 am View user's profile Send private message Send e-mail Visit poster's website
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